February 24, 2013

En relisant « Les Trois Mousquetaires » - IV

La suite. Le début est ici


XI. L'INTRIGUE SE NOUE

« Puis d'Artagnan, disposé à être l'amant le plus tendre, était en attendant un ami très dévoué. Au milieu de ses projets amoureux sur la femme du mercier, il n'oubliait pas les siens. La jolie Mme Bonacieux était femme à promener dans la plaine Saint-Denis ou dans la foire Saint-Germain en compagnie d'Athos, de Porthos et d'Aramis, auxquels d'Artagnan serait fier de montrer une telle conquête. »


La foire Saint-Germain se trouvait derrière l’église Saint-Sulpice un peu plus près vers la Seine. La première foire a eu lieu en 1176 et pendant des siècles est restée un des plus grands centres d’attraction non seulement pour les parisiens, mais aussi pour les habitants de toute la France. Déjà sur les cartes du XVIème siècle on voit que la foire occupait une assez grande surface avec un carré de pavillons couverts. Au début du XIXème siècle après un important incendie, un grand bâtiment en pierre a été construit. Récemment, en 1998 ce bâtiment a été restauré et le marché Saint-Germain est devenu un assez banal centre commercial local.

Le marché Saint-Germain

Le marché Saint-Germain

Malgré la présence du marché permanent, l’esprit libre de la foire Saint-Germain est toujours là. La « foire », plus petite qu’avant, se déploie en plein air, réunissant de temps en temps les marchands d’alimentation, d’antiquité et de souvenirs qui installent leurs étales sur la place Saint-Sulpice.


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« D'Artagnan, tout en réfléchissant à ses futures amours, tout en parlant à la nuit, tout en souriant aux étoiles, remontait la rue du Cherche-Midi ou Chasse-Midi, ainsi qu'on l'appelait alors. »

Le mot « Cherche-Midi » provient du proverbe français « chercher midi à quatorze heures » qui signifie chercher à prendre un repas alors que le temps du déjeuner a été dépassé. Les Russes utilisent une expression un peu analogique, mais dont le sens est un peu plus large : « chercher la journée d’hier ». On pense que la rue du Cherche-Midi fut ainsi dénommées à cause d’un cadran solaire qui s’y trouvait et qui était une illustration du proverbe. Aujourd’hui encore on peut y voir plusieurs cadrans du même type, par exemple, sur les immeubles N°19 et N°56.

Cadran de la rue du Cherche-Midi

La rue du Cherche-Midi a d’ailleurs assez bien conservé l’esprit du vieux Paris. Bien qu’elle ne recèle que peu de chef-d-œuvres architecturaux, on peut y trouver maintes endroits qui respirent tellement le calme et l’intimité qu’il semble que le temps se soit arrêté ici pour toujours.

Une profonde tristesse flotte sur Paris par une soirée sans fin.
La rue se nomme « Je Cherche Midi ».
Ni âme qui vive, ni lumière qui luit.
Le soir est venu, Midi est déjà loin.
                                        Ilya Erenbourg

Rencontre d’époques - Cour de la rue du Cherche-Midi

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« D'Artagnan venait de dépasser la rue Cassette et reconnaissait déjà la porte de la maison de son ami, enfouie sous un massif de sycomores et de clématites qui formaient un vaste bourrelet au-dessus d'elle lorsqu'il aperçut quelque chose comme une ombre qui sortait de la rue Servandoni. Ce quelque chose était enveloppé d'un manteau, et d'Artagnan crut d'abord que c'était un homme ; mais, à la petitesse de la taille, à l'incertitude de la démarche, à l'embarras du pas, il reconnut bientôt une femme. »


Ce passage contient une imprécision reprochée à Dumas par un grand nombre de personnes (qui en même temps ont commis des erreurs bien plus graves, comme par exemple Umberto Eco dans son essai « Six promenades dans les bois du roman et d'ailleurs » essai V, «L'étrange cas de la rue Servandoni».)
Tout d’abord au XVIIème siècle la rue Servandoni s’appelait encore rue des Fossoyeurs. Par ailleurs, d’Artagnan et Madame Bonacieux « venaient » de quitter la rue des Fossoyeurs et Madame Bonacieux était restée dans l’appartement d’Athos, rue Férou. Et enfin, de cet immeuble d’Aramis on ne peut nullement voir le coin de la rue Servandoni. Selon les indices fournis par le roman, Madame Bonacieux a tourné dans la rue Vaugirard d’une autre rue, probablement la plus proche de la maison d’Aramis, puisqu’elle a tout de suite commencé à « compter les maison et les fenêtres ». La rue la plus proche était la rue du Pot de Fer qui porte aujourd’hui le nom de rue Bonaparte.

Le coin de la rue de Vaugirard et de la rue Bonaparte (ex rue du Pot de Fer)

Une autre rue du Pot de Fer, aussi ancienne, existe toujours à Paris, pas très loin de cet endroit, dans le Vème arrondissement. Elle se trouve entre la rue Lhomond et la rue Mouffetard. Apparemment dans ces temps là, il y avait beaucoup d’enseignes en forme de pot de fer, dont les plus remarquables ont donné leurs noms aux rues.

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« D'Artagnan offrit son bras à Mme Bonacieux, qui s'y suspendit, moitié rieuse, moitié tremblante, et tous deux gagnèrent le haut de la rue de La Harpe. Arrivée là, la jeune femme parut hésiter, comme elle avait déjà fait dans la rue de Vaugirard. Cependant, à de certains signes, elle sembla reconnaître une porte »

Madame Bonacieux, vous vous en souvenez sans doute est déjà entrée dans l’immeuble du numéro 75, rue de La Harpe. Cet immeuble aujourd’hui n’existe plus, car à la suite du percement des boulevards Saint-Germain et Saint-Michel, la partie haute de la rue a bel et bien disparu. Sa partie basse subsiste par contre et traverse le célèbre et fameux Quartier Latin, qui malheureusement ressemble de plus en plus à un mélange de china-town et d’arène de lutte culinaire gréco-romaine.

Rue de La Harpe dans le Quartier Latin

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« D'Artagnan résolut d'essayer d'entrer au Louvre. Son costume de garde dans la compagnie de M. des Essarts lui devait être un passeport. Il descendit donc la rue des Petits-Augustins, et remonta le quai pour prendre le Pont-Neuf. Il avait eu un instant l'idée de passer le bac ; mais en arrivant au bord de l'eau, il avait machinalement introduit sa main dans sa poche et s'était aperçu qu'il n'avait pas de quoi payer le passeur. »

La rue des Petits Augustins toute petite à l'époque, deux ilôts seulement, reliait la rue Jacob au quai de la Seine. Apparu en XVIème siècle, elle a porté son nom pendant deux siècles et demi jusqu’à ce qu’elle soit réunie avec quelques petites rues voisines (de la rue des Petits Augustins à la rue du Pot de fer) en une seule et longue rue (la rue Bonaparte) lors du grandiose remaniement de Paris au milieu du XIX siècle.  

Ex rue des Petits Augustins, aujourd’hui la rue Bonaparte

La photo montre la partie de l’ex rue des Petits Augustins allant vers la Seine. A gauche on voit le monastère des Petits Augustins qui a donné à la rue son nom initial. Le monastère a été fondé par Marguerite de Valois (la reine Margot) en 1608 après son divorce avec Henri IV. Le palais de Marguerite se trouvait juste en face, de l’autre côté de la rue. A dire vrai, c’est son jardin donnait sur cette rue, et non la façade centrale. Le monastère des Petits Augustins a existé jusqu’à la Grande Révolution française, au cours de laquelle il a été nationalisé et transformé, devinez en quoi ? – en lieu de stockage bien sûr. Heureusement, un archéologue (Alexandre Lenoir) fut nommé à la tête de ce dépôt. C’est lui qui commença à rassembler dans la cour les détails architecturaux des bâtiments détruits sous la révolution (hôtels particuliers, églises, monastères) ainsi que des sculptures. C’est ainsi que le premier musée au monde à ciel ouvert a vu le jour avant de devenir ensuite le célèbre Musée national des Monuments Français. Aujourd’hui la collection de ce musée se trouve au Palais de Chaillot, en face de la Tour Eiffel. C’est aussi grâce aux efforts de Lenoir que l’ex-monastère a retrouvé une nouvelle vocation en 1816 avec l’ouverture de l’Ecole Nationale des beaux-arts qui occupe actuellement tout le quartier attenant.
On comprend mieux maintenant comment le portique de l’hôtel des Trémouilles, dont nous avons parlé ci-dessus, s’est retrouvé dans la cour du 14, rue de Bonaparte.

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« Comme il arrivait à la hauteur de la rue Guénégaud, il vit déboucher de la rue Dauphine un groupe composé de deux personnes et dont l'allure le frappa. Les deux personnes qui composaient le groupe étaient : l'un, un homme ; l'autre, une femme. »

Les rues mentionnées dans l’itinéraire de d’Artagnan existent toujours et portent encore les mêmes noms, comme le célèbre Pont Neuf, que le mousquetaire s’apprêtait à franchir. Tout le monde sait que c’est le « plus vieux pont de Paris». Pour être plus précis il faudrait dire qu’il s’agit de l’ouvrage le plus ancien. Car le Petit Pont ou le Pont Notre-Dame avaient été édifiés plusieurs siècles avant le Pont Neuf, mais ont été reconstruits.

Le Pont Neuf côté rue de la Dauphine

« La jeune femme et le jeune homme s'étaient aperçus qu'ils étaient suivis, et ils avaient doublé le pas. D'Artagnan prit sa course, les dépassa, puis revint sur eux au moment où ils se trouvaient devant la Samaritaine, éclairée par un réverbère qui projetait sa lueur sur toute cette partie du pont. »

La sculpture de la Samaritaine donnant à boire au Christ, se trouvait à l’étage du bâtiment de la Pompe de la Samaritaine. Après la démolition, le nom « la Samaritaine » a été donné au grand magasin, très célèbre encore récemment, mais maintenant défraichi et fermé pour une reconstruction « sans terme précis ». Voilà comment cette place était auparavant.

La Pompe de la Samaritaine. Fragment du tableau du musée Carnavalet

Comme on le voit, la Pompe se trouvait au niveau de la deuxième travée du pont à compter de la berge nord.

Le Pont Neuf et le magasin Samaritaine

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« Mais heureusement le jeune séide n'eut aucune occasion de donner au duc cette preuve de son dévouement, et la jeune femme et le beau mousquetaire rentrèrent au Louvre par le guichet de l'Échelle sans avoir été inquiétés. »

Il existe une telle entrée, rue de Rivoli, juste en face de la rue Echelle. Elle donne accès au Musée des Arts Décoratifs qui se trouve dans l’aile nord-ouest du Louvre. Ce musée a été ouvert au public le 15 septembre 2006 après dix ans de travaux.

Entrée au Musée des Arts Décoratifs en face de la rue Echelle


XII. GEORGES VILLIERS, DUC DE BUCKINGHAM

« En ce moment, une porte cachée dans la tapisserie s'ouvrit et une femme apparut. Buckingham vit cette apparition dans la glace ; il jeta un cri, c'était la reine !
Anne d'Autriche avait alors vingt-six ou vingt-sept ans, c'est-à-dire qu'elle se trouvait dans tout l'éclat de sa beauté. Sa démarche était celle d'une reine ou d'une déesse ; ses yeux, qui jetaient des reflets d'émeraude, étaient parfaitement beaux, et tout à la fois pleins de douceur et de majesté. »


On peut découvrir Anne d’Autriche au Jardin de Luxembourg parmi les autres reines de France. Les statues sont en marbre et le temps ne les ménage pas. Elles sont restaurées de temps en temps, mais le tour d’Anne n’est pas encore venu, c’est dommage…

Anne d’Autriche au Jardin de Luxembourg


Fin de la Partie 4. A la partie suivante

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