February 21, 2013

En relisant « Les Trois Mousquetaires » - III

La suite. Le début est ici


VII. L'INTERIEUR DES MOUSQUETAIRES

« Lorsque d'Artagnan fut hors du Louvre, et qu'il consulta ses amis sur l'emploi qu'il devait faire de sa part des quarante pistoles, Athos lui conseilla de commander un bon repas à la Pomme de Pin, Porthos de prendre un laquais, et Aramis de se faire une maîtresse convenable.
 …s'ils viennent, préviens-les de ce qui m'est arrivé, qu'ils m'attendent au cabaret de la Pomme de Pin…
…Quant à d'Artagnan, il se rendit aussitôt au cabaret de la Pomme de Pin, où il trouva Porthos et Aramis qui l'attendaient. »


La taverne de La Pomme de Pin où les mousquetaires aimaient à se rencontrer est un lieu historique. Elle se trouvait sur la montagne Saint Geneviève au numéro 1 de la place de la Contrescarpe (M° Place Monge). Sa cuisine et ses vins étaient si célèbres que Rabelais et les poètes de la Pléiade organisaient ici des dégustations. Malheureusement il ne reste aujourd’hui de cette taverne qu’une enseigne au premier étage, ce « lieu historique » est occupé par une boutique de glaces chères, mais misérablement standardisée.

L’immeuble sur la place de la Contrescarpe où se trouvait la taverne de La Pomme de Pin


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« Le repas fut exécuté le jour même, et le laquais y servit à table. Le repas avait été commandé par Athos, et le laquais fourni par Porthos. C'était un Picard que le glorieux mousquetaire avait embauché le jour même et à cette occasion sur le pont de la Tournelle, pendant qu'il faisait des ronds en crachant dans l'eau. Porthos avait prétendu que cette occupation était la preuve d'une organisation réfléchie et contemplative, et il l'avait emmené sans autre recommandation. La grande mine de ce gentilhomme, pour le compte duquel il se crut engagé, avait séduit Planchet…»

Le pont de la Tournelle est l’un des plus vieux de Paris. Jusqu’au XVIIème siècle, il était en bois. La construction d’un franchissement en pierres à six travées a été engagée en 1614. En 1847 le pont a été reconstruit avec trois travées, tel qu’on le connait aujourd’hui.

Le pont de la Tournelle

Du pont s’ouvre une très belle vue sur la pointe est de l’île de la Cité et Notre-Dame. On comprend alors que ce lieu ait pu favoriser chez Planchet réflexion et contemplation. Pour ce qui est de « cracher dans l'eau »…, cela est plutôt question de goût.

La vue du pont de la Tournelle en descendant la Seine

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Parlons maintenant des demeures de nos mousquetaires. Elles sont surtout décrites dans ce chapitre VII, bien que tout le reste du roman soit également ponctué de nombreuses informations.

La description de l’appartement d’Athos est très laconique :

 « Athos habitait rue Férou, à deux pas du Luxembourg; son appartement se composait de deux petites chambres, fort proprement meublées, dans une maison garnie dont l'hôtesse encore jeune et véritablement encore belle lui faisait inutilement les doux yeux.
…Il (D'Artagnan – N.G.) traversa la cour, monta les deux étages d'Athos et frappa à la porte à tout rompre. »


La rue Férou se trouve à quelques 50 mètres de la rue des Fossoyeurs où habitait D’Artagnan. Elle descend de la rue de Vaugirard vers la place Saint-Sulpice. Les mousquetaires ne devaient pas mettre plus de cinq minutes pour se rendre visite, l’un à l’autre.


Rue Férou en direction Saint-Sulpice. Athos habite dans une de ces courettes

Rue Férou, vue vers le Luxembourg

« Porthos habitait un appartement très vaste et d'une très somptueuse apparence, rue du Vieux-Colombier. Chaque fois qu'il passait avec quelque ami devant ses fenêtres, à l'une desquelles Mousqueton se tenait toujours en grande livrée, Porthos levait la tête et la main, et disait : Voilà ma demeure ! Mais jamais on ne le trouvait chez lui, jamais il n'invitait personne à y monter, et nul ne pouvait se faire une idée de ce que cette somptueuse apparence renfermait de richesses réelles. »

La rue du Vieux-Colombier est aujourd’hui habitée par des gens aisés et l’on y voit beaucoup d’immeubles qui d’après leur apparence extérieure conviendraient à Porthos. L’intérieur, bien sur, peut être fort différent, même dans un tel quartier, ce qui peut expliquer que Porthos n’invitait jamais personne à pénétrer chez lui.

L’immeuble pour Porthos

On sait un peu plus sur la demeure d’Aramis. Quelques paragraphes permettent de la localiser très précisément.

Ch.VII: « Quant à Aramis, il habitait un petit logement composé d'un boudoir, d'une salle à manger et d'une chambre à coucher, laquelle chambre, située comme le reste de l'appartement au rez-de-chaussée, donnait sur un petit jardin frais, vert, ombreux et impénétrable aux yeux du voisinage. »

Ch.XI: « Arrivé au bout de la ruelle, d'Artagnan tourna à gauche. La maison qu'habitait Aramis se trouvait située entre la rue Cassette et la rue Servandoni. »

Ch.XI: « …la jeune femme (Mme Bonacieux – N.G.) s'avançait toujours, comptant les maisons et les fenêtres. Ce n'était, au reste, chose ni longue, ni difficile. Il n'y avait que trois hôtels dans cette partie de la rue, et deux fenêtres ayant vue sur cette rue; l'une était celle d'un pavillon parallèle à celui qu'occupait Aramis, l'autre était celle d'Aramis lui-même. »

Ch. XIV: « Vous êtes un mari complaisant, mon cher monsieur Bonacieux ! - dit le cardinal - Reconnaîtriez-vous ces portes ?
- Oui.
- Savez-vous les numéros ?
- Oui.
- Quels sont-ils ?
- N° 25, dans la rue de Vaugirard ; n° 75, dans la rue de La Harpe. »


Aujourd’hui le 25, rue de Vaugirard est occupé par un immeuble qui fait le coin de la rue Cassette. Bien qu’il ne ressemble pas trop à la maison d’Aramis, telle qu’elle était décrite par Dumas, par exemple il n’y a aucune fenêtre au rez-de-chaussée, l’endroit apparemment est le même.

25, rue de Vaugirard – adresse d’Aramis

Pas très loin de cet immeuble, au carrefour de la rue de Vaugirard et de la rue de Rennes se trouve un hôtel qui porte le nom d’Aramis. A ma connaissance c’est le seul endroit à Paris qui porte le nom de ce mousquetaire.

Hôtel « Aramis », rue de Rennes

Essayons maintenant de réunir tout ce que Dumas nous dit, dans son roman, à propos de la maison de d’Artagnan. Comme nous le savons déjà :

Ch.I: « D'Artagnan …trouvât à louer une chambre qui …fut une espèce de mansarde, sise rue des Fossoyeurs, près du Luxembourg. »

Ch.X: « On fit donc une souricière de l'appartement de maître Bonacieux, et quiconque y apparut fut pris et interrogé par les gens de M. le cardinal. Il va sans dire que, comme une allée particulière conduisait au premier étage qu'habitait d'Artagnan, ceux qui venaient chez lui étaient exemptés de toutes visites. »

Ch.X: « "Tais-toi, imbécile", dit d'Artagnan. Et s'accrochant de la main au rebord de sa fenêtre, il se laissa tomber du premier étage, qui heureusement n'était pas élevé, sans se faire une écorchure. »

Ch.XIII: « …L'accusé répondit qu'il s'appelait Jacques-Michel Bonacieux, qu'il était âgé de cinquante et un ans, mercier retiré et qu'il demeurait rue des Fossoyeurs, n° 11. »

Ainsi le n° 11 rue des Fossoyeurs était une maison à un étage, avec deux entrées. Apparemment, à l’époque de Dumas la maison portant ce numéro était exactement comme cela. Hélas, aujourd’hui ce numéro est attribué à un immeuble moderne au caractère impersonnel. Il faut se rappeler que la numérotation des maisons n’est apparue à Paris qu’au XVIIIème siècle. On numérotait alors les portes, tout d’abord d’un côté de la rue, puis de l’autre, ainsi la numération faisait une boucle. Au XIXème siècle un nouveau système de numérotation, toujours en vigueur a été adopté et a conduit à attribuer de nouveaux numéros. Nous ne pouvons pas savoir à quel système de numérotation Dumas se référait lors de l’écriture de son roman. Mais alors regardons tout simplement les vieilles maisons de la rue Servandoni et demandons nous laquelle aurait pu être habitée par d’Artagnan ? Très vite nous trouvons un candidat idéal : au numéro 16 s’est nichée une petite maisonnette à un étage, avec « une espèce de mansarde ». Il possède justement deux entrées séparées, dont l’une  de manière évidente conduit au premier étage. Voilà c’est ici que nous allons « loger » d’Artagnan.

La maison de d’Artagnan

La Wkipedia française mentionne que D'Artagnan résida au numéro 12 actuel de la rue Servandoni. Voilà comment on justifie ce raisonnement : D'Artagnan habitait au numéro 12, c'est la famille Bonacieux qui habitait le numéro 11 :
Les Trois Mousquetaires - Chapitre 13 : « L’accusé répondit qu’il s’appelait Jacques-Michel Bonacieux, qu’il était âgé de cinquante et un ans, mercier retiré et qu’il demeurait rue des Fossoyeurs, n° 11. »
Vingt ans après - Chapitre 6 : « Hélas ! depuis l’époque où, dans notre roman des Trois Mousquetaires, nous avons quitté d’Artagnan, rue des Fossoyeurs, 12, il s’était passé bien des choses, et surtout bien des années. »

Mais une telle situation n’est possible qu’en utilisant l’ancien système de numérotation des maisons, qui avait existé jusqu’au 1806. Les numéros successifs 11 et 12 se trouvaient alors du même côté de la rue. De ce fait nous déduisons que l’actuelle maison au N°12 ne peut pas être celle de D'Artagnan, car d’après l’ancien système de numérotation elle portait le N°7, ce que Wkipedia confirme aussi. Les maisons qui à l’époque avaient de numéros 11-12, devaient se trouver plus près de la rue Vaugirard, que la maison N°7. Donc, aujourd’hui cette maison devrait avoir le numéro entre 16 et 20. Voilà pourquoi ma version que la maison de D'Artagnan serait celle qui porte actuellement le N°16 me paraît plus convaincante que la version de Wikipedia.


X. UNE SOURICIERE AU XVII° SIECLE

« - Oui, oui, vous avez raison, s'écria Mme Bonacieux effrayée ; fuyons, sauvons-nous. À ces mots, elle passa son bras sous celui de d'Artagnan et l'entraîna vivement.
- Mais où fuir ? dit d'Artagnan, où nous sauver ?
- Éloignons-nous d'abord de cette maison, puis après nous verrons.
Et la jeune femme et le jeune homme, sans se donner la peine de refermer la porte, descendirent rapidement la rue des Fossoyeurs, s'engagèrent dans la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince et ne s'arrêtèrent qu'à la place Saint-Sulpice. »


Notons ici une petite incohérence. Il n’y avait que deux possibilités - soit remonter la rue des Fossoyeurs pour atteindre la rue de Vaugirard, soit, la descendre et se retrouver près de l’église Saint Sulpice. Mais dans ce dernier cas on n’empruntait pas la rue des Fossés Monsieur le Prince qui se trouvait vraiment à l’écart de cet itinéraire. Cette rue des Fossés Monsieur le Prince doit son nom d’une part au prince Condé qui y possédait son hôtel particulier et d’autre part au fait qu’elle longeait les murs d’enceinte et les fossés qui marquaient la frontière de la ville. Aujourd’hui le mot « Fossés » a disparu du nom de la rue. Quant à la rue Monsieur le Prince elle reste un des endroits les plus agréables du quartier Saint-Germain.

La rue Monsieur le Prince près du carrefour d’Odéon

Je vous recommande, en passant (quitte à être accusé de publicité déguisée), la brasserie «La Pinte», au numéro 13, une des meilleures à Paris. Son propriétaire possède de surcroit une belle collection des billets de banque du monde entier.

Bon, admettons que d’Artagnan et Madame Bonacieux aient fait un grand détour par la rue des Fossés Monsieur le Prince avant de revenir à la place Saint Sulpice. Bel endroit très romantique !… Bénéficiant d’un calme de plus en plus rare à Paris. Un lieu enfermé par des arbres, mais en même temps assez spacieux.


Vue de l’église Saint Sulpice depuis la tour de Montparnasse

L’église Saint-Sulpice est pratiquement contemporaine des événements du roman – la première pierre des fondations a été posée en 1646 par la reine Anne d’Autriche. La construction, fort longue, a duré plus de cent ans. L’aspect architectural actuel résulte du projet de l’architecte italien Giovanni Servandoni – celui là qui a donné son nom à la rue des Fossoyeurs au début du XIXème siècle.

Fontaine des Evêques et la façade centrale de l’église Saint Sulpice

Si un jour vous avez l’intention de vous reposer sous les frênes et les platanes de la place, je vous conseille avant de vous asseoir de bien regarder au dessus de vos têtes : dans cette « corbeille » formée par les branches règnent des colonies de pigeons, avec toutes les conséquences qui en découlent, et qui peuvent assez vite se retrouver sur vos habits.

Autres « maîtres » de la place Saint-Sulpice


Fin de la Partie 3. A la partie suivante

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