La suite. Le début est ici
XIII. MONSIEUR BONACIEUX
« Il y avait dans tout cela, comme on a pu le remarquer, un personnage dont, malgré sa position précaire, on n'avait paru s'inquiéter que fort médiocrement ; ce personnage était M. Bonacieux, respectable martyr des intrigues politiques et amoureuses qui s'enchevêtraient si bien les unes aux autres, dans cette époque à la fois si chevaleresque et si galante. Heureusement le lecteur se le rappelle ou ne se le rappelle pas heureusement que nous avons promis de ne pas le perdre de vue. Les estafiers qui l'avaient arrêté le conduisirent droit à la Bastille, où on le fit passer tout tremblant devant un peloton de soldats qui chargeaient leurs mousquets. »
La Bastille…Voilà le symbole de la peur des contemporains que la révolution de 1789 a transformé en tas de pierres. Ultérieurement, la place de la Concorde a été pavée avec ces pierres afin que le peuple piétine les débris tant haïs…
Voici cette place aujourd’hui, un jour pas comme les autres. Une nouvelle révolution est-elle en cours ? Non, la population assiste à un spectacle.
Mais suivons plutôt le fourgon cellulaire qui emmène Mr Bonacieux chez le cardinal en empruntant les rues nocturnes de Paris.
« La voiture se mit en mouvement, lente comme un char funèbre. À travers la grille cadenassée, le prisonnier apercevait les maisons et le pavé, voilà tout ; mais, en véritable Parisien qu'il était, Bonacieux reconnaissait chaque rue aux bornes, aux enseignes, aux réverbères. Au moment d'arriver à Saint-Paul, lieu où l'on exécutait les condamnés de la Bastille, il faillit s'évanouir et se signa deux fois. Il avait cru que la voiture devait s'arrêter là. La voiture passa cependant. »
L’église Saint-Paul se trouve rue Saint Antoine tout près de la Bastille.
« Plus loin, une grande terreur le prit encore, ce fut en côtoyant le cimetière Saint-Jean où on enterrait les criminels d'État. Une seule chose le rassura un peu, c'est qu'avant de les enterrer on leur coupait généralement la tête, et que sa tête à lui était encore sur ses épaules. Mais lorsqu'il vit que la voiture prenait la route de la Grève, qu'il aperçut les toits aigus de l'hôtel de ville, que la voiture s'engagea sous l'arcade, il crut que tout était fini pour lui, voulut se confesser à l'exempt »
A cette époque, la rue de Rivoli n’existant pas encore, la voiture aurait vraisemblablement emprunté la rue François Miron (ex Saint Gervais) puis aurait tourné vers l’Hôtel de Ville en traversant la place bordant l’église Saint Gervais.
La place de l’Hôtel de Ville s’appelait autrefois place de Grèves. Avant la révolution on y respectait la hiérarchie : les nobles étaient décapités, les hérétiques – brulés, les assassins – écartelés, les simples gens – pendus. La Révolution a instauré l’égalité universelle et à partir de 1792 tout le monde fut « coiffé » de la même manière. Les têtes tombaient avec leurs cheveux – la guillotine a fort bien fonctionné ici jusqu’au 1830.
« …la voiture traversa la place fatale sans s'arrêter. Il ne restait plus à craindre que la Croix-du-Trahoir : la voiture en prit justement le chemin. Cette fois, il n'y avait plus de doute, c'était à la Croix-du-Trahoir qu'on exécutait les criminels subalternes. Bonacieux s'était flatté en se croyant digne de Saint-Paul ou de la place de Grève : c'était à la Croix-du-Trahoir qu'allaient finir son voyage et sa destinée ! Il ne pouvait voir encore cette malheureuse croix, mais il la sentait en quelque sorte venir au-devant de lui. Lorsqu'il n'en fut plus qu'à une vingtaine de pas, il entendit une rumeur, et la voiture s'arrêta. »
A cet étroit et sombre carrefour de la rue de l’Arbre Sec et de la rue Saint-Honoré se hissait la troisième terreur de Bonacieux = la Croix-du-Trahoir. Elle fut érigée ici en mémoire de l’exécution de Brunguilde, la reine du Moyen Age, trainée par des chevaux sauvages tout au long de la rue de l’Arbre Sec. Jusqu’en 1636 la croix marquait la place des exécutions publiques. Aujourd’hui à l’intersection des rues ce passé est rappelé par une croix faite de pavés sombres et entouré d’un cercle.
XIV. L'HOMME DE MEUNG
« Ce rassemblement était produit non point par l'attente d'un homme qu'on devait pendre, mais par la contemplation d'un pendu. La voiture, arrêtée un instant, reprit donc sa marche, traversa la foule, continua son chemin, enfila la rue Saint-Honoré, tourna la rue des Bons-Enfants et s'arrêta devant une porte basse. La porte s'ouvrit, deux gardes reçurent dans leurs bras Bonacieux, soutenu par l'exempt ; on le poussa dans une allée, on lui fit monter un escalier, et on le déposa dans une antichambre. »
On emmenait Bonacieux au cabinet du Cardinal qui se trouvait au Palais Royal, ou Palais Cardinal comme on l’appelait à l’époque. Mais la rue des Bons Enfants ne va pas jusqu’au Palais Royal, elle est parallèle au Palais. Alors comment fit-on venir Bonacieux au Palais ? Je pense qu’il n’y a pas d’inexactitude. Il existe en effet un passage vouté qui mène de la rue des Bons Enfants directement aux portes du Palais. Ce passage porte un nom significatif – Passage Vérité. Apparemment le fait de faire passer Bonacieux par ici révélait sa vraie nature.
C’est au fond au premier étage, que travaille le cardinal…
« Debout devant la cheminée était un homme de moyenne taille, à la mine haute et fière, aux yeux perçants, au front large, à la figure amaigrie qu'allongeait encore une royale surmontée d'une paire de moustaches. Quoique cet homme eût trente-six à trente-sept ans à peine, cheveux, moustache et royale s'en allaient grisonnant. Cet homme, moins l'épée, avait toute la mine d'un homme de guerre, et ses bottes de buffle encore légèrement couvertes de poussière indiquaient qu'il avait monté à cheval dans la journée. Cet homme, c'était Armand-Jean Duplessis, cardinal de Richelieu… »
La statue de Richelieu occupe une place d’honneur parmi les 136 effigies d’hommes d’état français qui ornent l’Hôtel de Ville. Sur la façade principale elle est la première dans le rang supérieur côté rue de Rivoli. Je trouve cette sculpture très réussie : il est là comme « vivant ».
La prison Fort-l’Evêque se trouvait au coin des rues Saint-Germain d’Auxerrois et Bertin-Poirée. Il y avait bien longtemps un évêque parisien avait fait construire à cet emplacement une grange et des fournils (Four-l’Evêque). Avec le temps on avait cessé d’y faire du pain ici et le Four est alors devenu une prison pour dettes. Apparemment le modeste four s’est transformé en fort dans le langage des gens. Fort-l’Evêque avait la réputation d’une prison libérale, même assez confortable. Si les prisonniers souhaitaient, ils pouvaient sortir dans la ville, commander à manger et à boire (à condition d’avoir des moyens bien sur), et même de changer de cellule. A différentes époques, des personnalités comme Beaumarchais, Casanova ou le Marquis de Sade qui ont « séjourné » ici.
XX. VOYAGE
« À deux heures du matin, nos quatre aventuriers sortirent de Paris par la barrière Saint-Denis ; tant qu'il fit nuit, ils restèrent muets ; malgré eux, ils subissaient l'influence de l'obscurité et voyaient des embûches partout. Aux premiers rayons du jour, leurs langues se délièrent ; avec le soleil, la gaieté revint : c'était comme à la veille d'un combat, le cœur battait, les yeux riaient. »
Ultérieurement, sous le règne de Louis XIV, près de l’ex frontière de la ville à la place de la barrière Saint-Denis fut érigée une construction en forme d’arc de triomphe romain. Il est vrai que le plus souvent les personnes augustes traversaient cette porte à l’occasion de leurs derniers voyages vers la basilique des rois Saint-Denis. Aujourd’hui, la porte Saint-Denis sépare le quartier des lanternes rouges des quartiers « africains » qui commencent juste après l’arc. La porte se trouve aujourd’hui au milieu de la circulation du boulevard de Bonne Nouvelle.
Certain endroits dans ces quartiers encore aujourd’hui peuvent faire penser aux guets-apens…
XIII. MONSIEUR BONACIEUX
« Il y avait dans tout cela, comme on a pu le remarquer, un personnage dont, malgré sa position précaire, on n'avait paru s'inquiéter que fort médiocrement ; ce personnage était M. Bonacieux, respectable martyr des intrigues politiques et amoureuses qui s'enchevêtraient si bien les unes aux autres, dans cette époque à la fois si chevaleresque et si galante. Heureusement le lecteur se le rappelle ou ne se le rappelle pas heureusement que nous avons promis de ne pas le perdre de vue. Les estafiers qui l'avaient arrêté le conduisirent droit à la Bastille, où on le fit passer tout tremblant devant un peloton de soldats qui chargeaient leurs mousquets. »
La Bastille…Voilà le symbole de la peur des contemporains que la révolution de 1789 a transformé en tas de pierres. Ultérieurement, la place de la Concorde a été pavée avec ces pierres afin que le peuple piétine les débris tant haïs…
La maquette de la Bastille au musée Carnavalet |
Voici cette place aujourd’hui, un jour pas comme les autres. Une nouvelle révolution est-elle en cours ? Non, la population assiste à un spectacle.
Mais suivons plutôt le fourgon cellulaire qui emmène Mr Bonacieux chez le cardinal en empruntant les rues nocturnes de Paris.
« La voiture se mit en mouvement, lente comme un char funèbre. À travers la grille cadenassée, le prisonnier apercevait les maisons et le pavé, voilà tout ; mais, en véritable Parisien qu'il était, Bonacieux reconnaissait chaque rue aux bornes, aux enseignes, aux réverbères. Au moment d'arriver à Saint-Paul, lieu où l'on exécutait les condamnés de la Bastille, il faillit s'évanouir et se signa deux fois. Il avait cru que la voiture devait s'arrêter là. La voiture passa cependant. »
L’église Saint-Paul se trouve rue Saint Antoine tout près de la Bastille.
L’église Saint-Paul se trouve rue Saint Antoine |
« Plus loin, une grande terreur le prit encore, ce fut en côtoyant le cimetière Saint-Jean où on enterrait les criminels d'État. Une seule chose le rassura un peu, c'est qu'avant de les enterrer on leur coupait généralement la tête, et que sa tête à lui était encore sur ses épaules. Mais lorsqu'il vit que la voiture prenait la route de la Grève, qu'il aperçut les toits aigus de l'hôtel de ville, que la voiture s'engagea sous l'arcade, il crut que tout était fini pour lui, voulut se confesser à l'exempt »
A cette époque, la rue de Rivoli n’existant pas encore, la voiture aurait vraisemblablement emprunté la rue François Miron (ex Saint Gervais) puis aurait tourné vers l’Hôtel de Ville en traversant la place bordant l’église Saint Gervais.
La place de l’Hôtel de Ville s’appelait autrefois place de Grèves. Avant la révolution on y respectait la hiérarchie : les nobles étaient décapités, les hérétiques – brulés, les assassins – écartelés, les simples gens – pendus. La Révolution a instauré l’égalité universelle et à partir de 1792 tout le monde fut « coiffé » de la même manière. Les têtes tombaient avec leurs cheveux – la guillotine a fort bien fonctionné ici jusqu’au 1830.
Exécution sur la place de Grèves. Maquette du Musée Carnavalet |
« …la voiture traversa la place fatale sans s'arrêter. Il ne restait plus à craindre que la Croix-du-Trahoir : la voiture en prit justement le chemin. Cette fois, il n'y avait plus de doute, c'était à la Croix-du-Trahoir qu'on exécutait les criminels subalternes. Bonacieux s'était flatté en se croyant digne de Saint-Paul ou de la place de Grève : c'était à la Croix-du-Trahoir qu'allaient finir son voyage et sa destinée ! Il ne pouvait voir encore cette malheureuse croix, mais il la sentait en quelque sorte venir au-devant de lui. Lorsqu'il n'en fut plus qu'à une vingtaine de pas, il entendit une rumeur, et la voiture s'arrêta. »
A cet étroit et sombre carrefour de la rue de l’Arbre Sec et de la rue Saint-Honoré se hissait la troisième terreur de Bonacieux = la Croix-du-Trahoir. Elle fut érigée ici en mémoire de l’exécution de Brunguilde, la reine du Moyen Age, trainée par des chevaux sauvages tout au long de la rue de l’Arbre Sec. Jusqu’en 1636 la croix marquait la place des exécutions publiques. Aujourd’hui à l’intersection des rues ce passé est rappelé par une croix faite de pavés sombres et entouré d’un cercle.
De la sinistre Croix-du-Trahoir il ne reste que l’ombre sur le bitume |
XIV. L'HOMME DE MEUNG
« Ce rassemblement était produit non point par l'attente d'un homme qu'on devait pendre, mais par la contemplation d'un pendu. La voiture, arrêtée un instant, reprit donc sa marche, traversa la foule, continua son chemin, enfila la rue Saint-Honoré, tourna la rue des Bons-Enfants et s'arrêta devant une porte basse. La porte s'ouvrit, deux gardes reçurent dans leurs bras Bonacieux, soutenu par l'exempt ; on le poussa dans une allée, on lui fit monter un escalier, et on le déposa dans une antichambre. »
La rue des Bons-Enfants vue de la rue Saint-Honoré |
On emmenait Bonacieux au cabinet du Cardinal qui se trouvait au Palais Royal, ou Palais Cardinal comme on l’appelait à l’époque. Mais la rue des Bons Enfants ne va pas jusqu’au Palais Royal, elle est parallèle au Palais. Alors comment fit-on venir Bonacieux au Palais ? Je pense qu’il n’y a pas d’inexactitude. Il existe en effet un passage vouté qui mène de la rue des Bons Enfants directement aux portes du Palais. Ce passage porte un nom significatif – Passage Vérité. Apparemment le fait de faire passer Bonacieux par ici révélait sa vraie nature.
Passage vers Palais Royal à partir de la rue des Bons Enfants.
|
C’est au fond au premier étage, que travaille le cardinal…
« Debout devant la cheminée était un homme de moyenne taille, à la mine haute et fière, aux yeux perçants, au front large, à la figure amaigrie qu'allongeait encore une royale surmontée d'une paire de moustaches. Quoique cet homme eût trente-six à trente-sept ans à peine, cheveux, moustache et royale s'en allaient grisonnant. Cet homme, moins l'épée, avait toute la mine d'un homme de guerre, et ses bottes de buffle encore légèrement couvertes de poussière indiquaient qu'il avait monté à cheval dans la journée. Cet homme, c'était Armand-Jean Duplessis, cardinal de Richelieu… »
La statue de Richelieu occupe une place d’honneur parmi les 136 effigies d’hommes d’état français qui ornent l’Hôtel de Ville. Sur la façade principale elle est la première dans le rang supérieur côté rue de Rivoli. Je trouve cette sculpture très réussie : il est là comme « vivant ».
« Prince rouge » |
XV. GENS DE ROBE ET GENS D’EPEE
« M. de Tréville était le père de ses soldats. Le moindre et le plus inconnu d'entre eux, dès qu'il portait l'uniforme de la compagnie, était aussi certain de son aide et de son appui qu'aurait pu l'être son frère lui-même. Il se rendit donc à l'instant chez le lieutenant criminel. On fit venir l'officier qui commandait le poste de la Croix-Rouge, et les renseignements successifs apprirent qu'Athos était momentanément logé au For-l'Évêque. »
« M. de Tréville était le père de ses soldats. Le moindre et le plus inconnu d'entre eux, dès qu'il portait l'uniforme de la compagnie, était aussi certain de son aide et de son appui qu'aurait pu l'être son frère lui-même. Il se rendit donc à l'instant chez le lieutenant criminel. On fit venir l'officier qui commandait le poste de la Croix-Rouge, et les renseignements successifs apprirent qu'Athos était momentanément logé au For-l'Évêque. »
La prison Fort-l’Evêque se trouvait au coin des rues Saint-Germain d’Auxerrois et Bertin-Poirée. Il y avait bien longtemps un évêque parisien avait fait construire à cet emplacement une grange et des fournils (Four-l’Evêque). Avec le temps on avait cessé d’y faire du pain ici et le Four est alors devenu une prison pour dettes. Apparemment le modeste four s’est transformé en fort dans le langage des gens. Fort-l’Evêque avait la réputation d’une prison libérale, même assez confortable. Si les prisonniers souhaitaient, ils pouvaient sortir dans la ville, commander à manger et à boire (à condition d’avoir des moyens bien sur), et même de changer de cellule. A différentes époques, des personnalités comme Beaumarchais, Casanova ou le Marquis de Sade qui ont « séjourné » ici.
La prison Fort-l’Evêque se trouvait à ce triste carrefour
|
XX. VOYAGE
« À deux heures du matin, nos quatre aventuriers sortirent de Paris par la barrière Saint-Denis ; tant qu'il fit nuit, ils restèrent muets ; malgré eux, ils subissaient l'influence de l'obscurité et voyaient des embûches partout. Aux premiers rayons du jour, leurs langues se délièrent ; avec le soleil, la gaieté revint : c'était comme à la veille d'un combat, le cœur battait, les yeux riaient. »
Ultérieurement, sous le règne de Louis XIV, près de l’ex frontière de la ville à la place de la barrière Saint-Denis fut érigée une construction en forme d’arc de triomphe romain. Il est vrai que le plus souvent les personnes augustes traversaient cette porte à l’occasion de leurs derniers voyages vers la basilique des rois Saint-Denis. Aujourd’hui, la porte Saint-Denis sépare le quartier des lanternes rouges des quartiers « africains » qui commencent juste après l’arc. La porte se trouve aujourd’hui au milieu de la circulation du boulevard de Bonne Nouvelle.
Certain endroits dans ces quartiers encore aujourd’hui peuvent faire penser aux guets-apens…
Dans les recoins de Saint-Denis |
Fin de la Partie 5. A la partie suivante
No comments:
Post a Comment
Enter your comment